Nombreux sont les détracteurs des acteurs bancaires traditionnels dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Le plus connu d’entre eux, Stéphane Mallard, n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il s’agit de pointer du doigt les faiblesses du secteur bancassurance français. Aussi faibles qu’on veut bien le lire, les banques traditionnelles enregistrent pourtant toujours des résultats d’exploitations conséquents, souvent en hausse.
Ainsi, le CM-CIC enregistre des résultats nets consolidés de 3 145 Millions d’euros, en hausse de 5,1% par rapport à 2018. Société Générale ? 4,1 Milliards. BPCE, elle, 3 Milliards de résultats nets. Bref, les acteurs majeurs ont les moyens d’ambitions technologiques qu’ils n’ont pas encore.
L’histoire de l’autruche dans le pédiluve.
Beaucoup d’incompréhension plane autour de la stratégie de l’autruche qu’abordent les banques traditionnelles vis-à-vis de l’arrivée de nouveaux entrants. J’ai fait partie de ces gens qui voyaient la vague arriver mais qui n’a vu personne enfiler son maillot de bain ni ses brassards. Mais en fait, cela s’explique assez facilement. Non pas que ces grands groupes préparent une réponse digne de ce nom, mais plutôt que l’incontinence des néo-banques actuelles (tant BtoB que BtoC d’ailleurs) leur permet de maintenir leur train de vie.
Et comment leur en vouloir, puisque paradoxalement, c’est leur incompétence qui remplit les bassins d’utilisateurs des nouveaux entrants. En manque de produits bancaires, les néo-banques ne remplissent pas véritablement leur rôle. Bien que dans la suite logique des choses après tant de phases d’acquisition d’utilisateur, elles vont se confronter à un frein: celui du changement de banque principale. Si la loi de mobilité bancaire a encouragé la pratique, dans les faits, seuls 2.5% des consommateurs ont changé de banque en 2019.
“Seuls 2.5% des consommateurs ont changé de banque en 2019, si ce chiffre n’évoque pas la multibancarisation, il évoque malgré tout la dépendance à l’acteur traditionnel”
La révolution bancaire sera sans doute davantage une piscine à remous qu’un véritable tsunami.
Faisons le constat: aujourd’hui la seule banque qui peut vous accompagner dans les différentes étapes de votre vie (entrée dans la vie active, études, mariage, décès, divorce, déménagement…) c’est bel et bien votre banque traditionnelle. Et – parce que ça arrivera forcément – quand Revolut ou N26 proposeront ce type de produits, la barrière de la mobilité bancaire viendra opposer une première résistance.
C’est exactement le même postulat – peut-être même pire- pour les banques professionnelles d’ailleurs. Qonto aujourd’hui propose une appli, une belle carte et une gestion de la facturation. Le premier soucis de la clientèle professionnelle en démarrage d’activité: le financement. Ensuite ? C’est tout simplement assurer et assumer son besoin de fonds de roulement. Toutes les entreprises ne peuvent pas avoir un BFR négatif. Le premier réflex n’est alors pas de se tourner vers sa néo-banque, mais de retourner vers les acteurs traditionnels.
Et ce comportement finalement assez pavlovien continue de placer les instances financières historiques en top of mind lorsque les utilisateurs cherchent une réponse à un véritable besoin plutôt qu’à une envie. On a besoin de produits financiers, nous avons envie d’une belle carte et d’une belle application.
Si l’ensemble des avis sur Revolut, N26 ou même Qonto ou Shine est positif, force est de constater que ces avis sont seulement basés sur l’expérience utilisateur et non la complétude de ses besoins. Ce qui fait qu’aujourd’hui, les grands groupes bancaires ne s’inquiètent pas tous de voir un Revolut valorisé à près de 6 Milliards de dollars.
“Ce qui noie quelqu’un, ce n’est pas le plongeon, mais de rester sous l’eau.”
Belle citation de Paulo Coelho. Elle pourrait être accompagnée de l’expression suivante ” se noyer dans un verre d’eau”. Parce que si le révolution néo-bancaire n’est pas un tsunami, il n’empêche qu’il est toujours possible de perdre pied dans une piscine.
Tout miser sur la non-utilisation de la mobilité bancaire pour maintenir son rythme de vie est un pari risqué de la part des acteurs traditionnels, puisque des solutions existent d’ores et déjà. C’est notamment le cas de l’agrégation de comptes et cartes bancaires, permettant à l’utilisateur de bénéficier des services de sa banque traditionnelle tout en venant rajouter une couche supplémentaire avec ceux fournis par l’organisme agrégateur. De loin se dessine ce qu’une grande partie des acteurs bancaires traditionnels souhaitait développer: la création de marketplaces dédiées au monde financier. Si les banques historiques ont toujours du mal à faire émerger ce genre d’initiatives, il sera curieux de voir la tournure que prendront les choses lorsque Revolut déploiera à plus grande échelle la possibilité de lier son compte bancaire à son appli (déjà en fonctionnement au Royaume-Uni: selon siècle digital).
Si cette initiative n’est pas nouvelle, que les projets de marketplaces financières ne sont eux non plus pas nouveaux, le grand avantage que possèdent les néo-banques réside dans leur capacité de delivery (produire et déployer leur solution). Là où historiquement les banques peuvent mettre jusqu’à plusieurs années pour produire des solutions digitales (cela s’explique assez facilement: ces banques existaient avant les systèmes d’informations, elles ont donc dû composer avec les premières bribes, aujourd’hui obsolètes mais dont il est difficile de sortir), les néo-banques ont cette capacité de time-to-market très court en comparaison, leur conférant un avantage dans la mise en place de projets différenciants.
Mais alors pourquoi les VC investissent dans ces pétards mouillés?
La réponse est toute bête: parce que c’est leur job de miser sur ce qui va leur rapporter gros. Et ils sont convaincus que les néo-banques sur le marché constituent le prochain poulailler de poules aux oeufs d’or*. La vague, si elle n’a pas encore atteint le château de sable des banques traditionnelles s’inscrit comme de nouveaux standards de marché que les banques traditionnelles ne peuvent combler à court termes. Et d’ici là, les fintechs auront développé des offres plus attrayantes, plus complètes afin d’absorber les clients fans du tout digital.
D’autre part, quand bien même Revolut ou N26 ne deviendraient pas nos banques principales, les business models actuels sont construits de manière à être rentables et scalables. Les forts facteurs de coûts des banques traditionnelles (immobiliers et ressources humaines) sont bien plus étendus que ceux des néo-banques. Revolut compte environ 10 Millions de clients, administrés par une fourchette de 2 000 à 3 000 collaborateurs, tout secteurs confondus. A titre de comparaison, le Crédit Mutuel Nord Europe compte environ 1,5 Millions de client pour 4500 collaborateurs et plus de 200 agences.
Les commissions interbancaires de paiements, les abonnements premiums ainsi que le traitement des data des utilisateurs sont gages de sources de revenus récurrents nécessitant très peu d’action humaine. Dans le futur ? On peut sans doute prévoir des demandes de crédit automatisées, avec réponse en temps réel et sans interaction humaine via des algorithmes et l’OCR (reconnaissance des caractères alphanumériques). On peut aussi compter les revenus d’apport d’affaires. C’est le cas de N26 avec ses crédits, proposés en partenariat avec Younited. Face au volume d’utilisateurs de leurs applications, c’est un axe privilégié de monétisation de leur audience.
Investir au lancement d’un tel projet n’est déjà pas très risqué. Investir maintenant sur le développement de ces grosses néobanques ne l’est pas plus. C’est juste plus cher. C’est un pari sur l’avenir, mais celui-ci semble plus sûr désormais.
*Sauf Binks